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BOILEAU.

ExEh quoi ! lorsqu’autrefois Horace, après Lucile[1],
Exhaloit en bons mots les vapeurs de sa bile,
Et, vengeant la vertu par des traits éclatans,
Alloit ôter le masque aux vices de son temps ;
Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
Faisant couler des flots de fiel et d’amertume,
Gourmandoit en courroux tout le peuple latin,
L’un ou l’autre fit-il une tragique fin ?
Et que craindre, après tout, d’une fureur si vaine ?
Personne ne connoit ni mon nom ni ma veine :
On ne voit point mes vers, à l’envi de Montreuil[2],
Grossir impunément les feuillets d’un recueil.
À peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque ami que charme la satire,
Qui me flatte peut-être, et, d’un air imposteur,
Rit tout haut de l’ouvrage, et tout bas de l’auteur.
Enfin c’est mon plaisir ; je veux me satisfaire.
Je ne puis bien parler, et ne saurois me taire ;
Et, dès qu’un mot plaisant vient luire à mon esprit,
Je n’ai point de repos qu’il ne soit en écrit :
Je ne résiste point au torrent qui m’entraîne.
JeMais c’est assez, parlé ; prenons un peu d’haleine ;
Ma main, pour cette fois, commence à se lasser.
Finissons. Mais demain, muse, à recommencer.

    laissait entrevoir une joie maligne en pensant au nombre d’ennemis que l’auteur allait s’attirer. « Parfait, excellent ! s’écriait-il, mais cela fera du bruit. »

  1. Auteur satirique romain.
  2. Montreuil était un galant homme fort recherché dans le monde, qui semait dans les recueils du temps beaucoup de vers agréables. Il eut le bon esprit de ne pas voir dans les vers de Boileau un épigramme désobligeant pour lui. Jean de Montreuil était de l’Académie française.