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BOILEAU.

Il est vrai, de tout temps la raison fut son lot :
Mais de là je conclus que l’homme est le plus sot.
MaCes propos, diras-tu, sont bons dans la satire,
Pour égayer d’abord un lecteur qui veut rire :
Mais il faut les prouver. En forme. J’y consens.
Réponds-moi donc, docteur, et mets-toi sur les bancs.
Qu’est-ce que la sagesse ? une égalité d’âme
Que rien ne peut troubler, qu’aucun désir n’enflamme,
Qui marche en ses conseils à pas plus mesurés
Qu’un doyen au palais ne monte les degrés.
Or cette égalité dont se forme le sage,
Qui jamais moins que l’homme en a connu l’usage ?
La fourmi tous les ans traversant les guérets
Grossit ses magasins des trésors de Cérés ;
Et dés que l’aquilon, ramenant la froidure,
Vient de ses noirs frimas attrister la nature.
Cet animal, tapi dans son obscurité,
Jouit l’hiver des biens conquis durant l’été.
Mais on ne la voit point, d’une humeur inconstante.
Paresseuse au printemps, en hiver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de janvier,
Ou demeurer oisive au retour du bélier[1].
Mais l’homme, sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée :
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne sait ni ce qu’il veut ni ce qu’il ne veut pas.
Ce qu’un jour il abhorre, en l’autre il le souhaite.
Moi ! j’irois épouser une femme coquette !
J’irois, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu’a célébrés Bussi[2] !

  1. C’est-à-dire le printemps, qui commence lorsque le soleil parait entrer dans le signe du Bélier.
  2. Bussi Rabutin, cousin germain de Mme  de Sévigné, qui encourut la disgrâce de Louis XIV pour avoir composé l’histoire ridicule et