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BOILEAU.

— N’importe, lève-toi. — Pourquoi faire après tout ?
— Pour courir l’Océan de l’un à l’autre bout,
Chercher jusqu’au Japon la porcelaine et l’ambre,
Rapporter de Goa[1] le poivre et le gingembre.
— Mais j’ai des biens en foule, et je puis m’en passer.
— On n’en peut trop avoir : et pour en amasser
Il ne faut épargner ni crime ni parjure :
Il faut souffrir la faim, et coucher sur la dure :
Eût-on plus de trésors que n’en perdit Galet[2],
N’avoir en sa maison ni meubles ni valet ;
Parmi les tas de blé vivre de seigle et d’orge ;
De peur de perdre un liard souffrir qu’on vous égorge.
— Et pourquoi cette épargne enfin ? — L’ignores-tu ?
Afin qu’un héritier, bien nourri, bien vêtu,
Profitant d’un trésor en tes mains inutile,
De son train quelque jour embarrasse la ville.
— Que faire ? — Il faut partir : les matelots sont prêts. »
DeOu, si pour l’entraîner l’argent manque d’attraits,
Bientôt l’ambition et toute son escorte
Dans le sein du repos vient le prendre à main forte,
L’envoie en furieux, au milieu des hasards,
Se faire estropier sur les pas des Césars ;
Et cherchant sur la brèche une mort indiscrète,
De sa folle valeur embellir la gazette.
De« Tout beau, dira quelqu’un, raillez plus à propos ;
Ce vice fut toujours la vertu des héros.
Quoi donc ! à votre avis, fut-ce un fou qu’Alexandre ? »
Qui ? cet écervelé qui mit l’Asie en cendre ?
Ce fougueux l’Angéli[3], qui, de sang altéré,

  1. Ville portugaise dans les Indes Orientales.
  2. Fameux joueur du temps, dont il est fait mention dans les œuvres de Regnier.
  3. Fou du prince de Condé, dont il est déjà parlé dans la première satire.