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SATIRE X.

Et que sur ce tableau d’abord tu vas nommer.
Mais pour quelques vertus si pures, si sincères,
Combien y trouve-t-on d’impudentes faussaires,
Qui, sous un vain dehors d’austère piété,
De leurs crimes secrets cherchent l’impunité ;
Et couvrent de Dieu même, empreint sur leur visage,
De leurs honteux plaisirs l’affreux libertinage !
N’attends pas qu’à tes yeux j’aille ici l’étaler ;
Il vaut mieux le souffrir que de le dévoiler.
De leurs galans exploits les Bussys, les Brantômes,
Pourroient avec plaisir te compiler des tomes :
Mais pour moi, dont le front trop aisément rougit,
Ma bouche a déjà peur de t’en avoir trop dit.
Rien n’égale en fureur, en monstrueux caprices,
Une fausse vertu qui s’abandonne aux vices.
De ces femmes pourtant l’hypocrite noirceur
Au moins pour un mari garde quelque douceur.
Je les aime encor mieux qu’une bigote altière,
Qui, dans son fol orgueil, aveugle et sans lumière,
À peine sur le seuil de la dévotion,
Pense atteindre au sommet de la perfection ;
Qui du soin qu’elle prend de me gêner sans cesse
Va quatre fois par mois se vanter à confesse ;
Et, les yeux vers le ciel, pour se le faire ouvrir,
Offre à Dieu les tourmens qu’elle me fait souffrir.
Sur cent pieux devoirs aux saints elle est égale ;
Elle lit Rodriguez[1], fait l’oraison mentale,
Va pour les malheureux quêter dans les maisons,
Hante les hôpitaux, visite les prisons,
Tous les jours à l’église entend jusqu’à six messes :
Mais de combattre en elle et dompter ses foiblesses,

  1. Alfonse Rodriguez, jésuite espagnol, mort en 1616 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, a composé un Traité sur la perfection chrétienne, traduit en français par Regnier Desmarais.