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SATIRE XII.

Source de toute erreur, sema dans l’univers :
Et, pour les contempler jusque dans leur naissance,
Dès le temps nouveau-né, quand la Toute-Puissance
D’un mot forma le ciel, l’air, la terre et les flots,
N’est-ce pas toi, voyant le monde à peine éclos,
Qui, par l’éclat trompeur d’une funeste pomme,
Et tes mots ambigus, fis croire au premier homme
Qu’il alloit, en goûtant de ce morceau fatal,
Comblé de tout savoir, à Dieu se rendre égal ?
Il en fit sur-le-champ la folle expérience :
Mais tout ce qu’il acquit de nouvelle science
Fut que, triste et honteux de voir sa nudité,
Il sut qu’il n’étoit plus, grâce à sa vanité,
Qu’un chétif animal pétri d’un peu de terre,
À qui la faim, la soif partout faisoient la guerre,
Et qui, courant toujours de malheur en malheur,
A la mort arrivoit enfin par la douleur.
Oui, de tes noirs complots et de ta triste rage
Le genre humain perdu fut le premier ouvrage.
Et bien que l’homme alors parût si rabaissé,
Par toi contre le ciel un orgueil insensé
Armant de ses neveux la gigantesque engeance,
Dieu résolut enfin, terrible en sa vengeance,
D’abîmer sous les eaux tous ces audacieux.
Mais avant qu’il lâchât les écluses des cieux,
Par un fils de Noé fatalement sauvée.
Tu fus, comme serpent, dans l’arche conservée,
Et d’abord poursuivant tes projets suspendus,
Chez les mortels restans, encor tout éperdus,
De nouveau tu semas tes captieux mensonges,
Et remplis leurs esprits de fables et de songes.
Tes voiles offusquant leurs yeux de toutes parts,
Dieu disparut lui-même à leurs troubles regards.
Alors ce ne fut plus que stupide ignorance,