Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/218

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Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode[1],
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en françois parlant grec et latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poëte orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes[2] et Bertaut[3].
ReEnfin Malherbe[4] vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre ;
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.
NeIl est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le sauroit percer.
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,

  1. Boileau se montre ici trop sévère pour Ronsard, qui a laissé de charmants sonnets
  2. Desportes, oncle de Regnier, fut le poète favori de Henri III.
  3. Bertaut, auteur de cantiques, de sonnets et de chansons.
  4. La poésie de Malherbe a tous les mérites que lui reconnait Boileau dans ce passage.