Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/229

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Regnier[1] seul parmi nous formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l’auteur ;
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n’alarmoit souvent les oreilles pudiques !
Le latin, dans les mots brave l’honnêteté :
Mais le lecteur françois veut être respecté ;
Du moindre sens impur la liberté l’outrage,
Si la pudeur des mots n’en adoucit l’image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
D’un trait de ce poëme en bons mots si fertile,
Le François, né malin, forma le vaudeville ;
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s’accroît en marchant,
La liberté françoise en ses vers se déploie :
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie.
Toutefois n’allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d’un badinage affreux.
À la fin tous ces jeux, que l’athéisme élève,
Conduisent tristement le plaisant à la Grève.
Il faut, même en chansons, du bon sens et de l’art :
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard
Inspirer quelquefois une muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu’un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l’auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poëte :
Il ne dormira plus qu’il n’ait fait un sonnet,

  1. Mathurin Regnier, oncle de Desportes, poëte plein de verve satirique, n’était pas toujours châtié dans ses expressions.