Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/232

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Ou n’excite en notre âme une pitié charmante,
En vain vous étalez une scène savante :
Vos froids raisonnemens ne feront qu’attiédir
Un spectateur toujours paresseux d’applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s’endort, ou vous critique.
Le secret est d’abord de plaire et de toucher :
Inventez des ressorts qui puissent m’attacher.
InQue dès les premiers vers l’action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.
Je me ris d’un acteur qui, lent à s’exprimer,
De ce qu’il veut, d’abord, ne sait pas m’informer ;
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D’un divertissement me fait une fatigue.
J ’aimerois mieux encor qu’il déclinât son nom ,
Et dît : « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon, »
Que d’aller, par un tas de confuses merveilles,
Sans rien dire à l’esprit, étourdir les oreilles :
Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué.
LeQue le lieu de la scène y soit fixe et marqué.
Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées[1],
Sur la scène en un jour renferme des années :
Là souvent le héros d’un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon au dernier.
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu’avec art l’action se ménage ;
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
TiJamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable :
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.

  1. Allusion à Lope de Véga, poëte espagnol.