Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/294

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Bientôt s’en va frapper à son neuvième lustre[1],
J’aime mieux mon repos qu’un embarras illustre.
Que d’une égale ardeur mille auteurs animés,
Aiguisent contre moi leurs traits envenimés ;
Que tout, jusqu’à Pinchêne[2], et m’insulte et m’accable,
Aujourd’hui vieux lion je suis doux et traitable ;
Je n’arme point contre eux mes ongles émoussés.
Ainsi que mes beaux jours mes chagrins sont passés :
Je ne sens plus l’aigreur de ma bile première,
Et laisse aux froids rimeurs une libre carrière.
EtAinsi donc, philosophe à la raison soumis,
Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis :
C’est l’erreur que je fuis, c’est la vertu que j’aime.
Je songe à me connoître, et me cherche en moi-même,
C’est là l’unique étude où je veux m’attacher.
Que, l’astrolabe en main[3], un autre aille chercher
Si le soleil est fixe ou tourne sur son axe,
Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe[4] ;
Que Rohaut[5] vainement sèche pour concevoir
Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir ;

  1. L’auteur n’avait réellement que trente-huit ans quand il composa cette épître ; il lui manquait donc au moins deux années avant d’atteindre son neuvième lustre ou quarante-un ans, puisqu’un lustre est de cinq ans.
  2. Pinchêne, neveu de Voiture, et plat écrivain, loin de voir une épigramme dans ce vers, crut que Boileau lui demandait grâce.
  3. Boileau se trompe ici sur l’emploi de l’astrolabe, instrument qui sert à mesurer la distance d’un astre à la terre, et non à déterminer s’il est fixe ou errant.
  4. Parallaxe est du féminin. Les astronomes entendent par ce mot la différence entre le lieu véritable et le lieu apparent d’un astre.
  5. Le problème du plein et du vide était alors un sujet de controverse animée entre les disciples de Descartes et ceux de Gassendi. Descartes tenait pour le plein et Gassendi pour le vide, nécessaires au mouvement des atomes ronds et crochus