Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/309

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Mais, sitôt que d’un trait de ses fatales mains
La Parque l’eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L’aimable comédie avec lui terrassée,
En vain d’un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.
TeToi donc qui, t’élevant sur la scène tragique,
Sur les pas de Sophocle, et, seul de tant d’esprits,
De Corneille vieilli[1] sais consoler Paris,
Cesse de t’étonner si l’envie animée,
Attachant à ton nom sa rouille envenimée,
La calomnie en main quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.
Le mérite en repos s’endort dans la paresse :
Mais par les envieux un génie excité
Au comble de son art est mille fois monté.
Plus on veut l’affaiblir, plus il croît et s’élance.
Au Cid[2] persécuté Cinna doit sa naissance ;
Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus[3].
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus[4].
DoMoi-même, dont la gloire ici moins répandue
Des pâles envieux ne blesse point la vue,
Mais qu’une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d’utiles ennemis,

  1. Corneille avait alors complètement abandonné le théâtre.
  2. Le Cid parut en 1636 et fut l’occasion d’une véritable émeute littéraire qui, loin de l’éteindre, augmenta encore l’enthousiasme public.
  3. l'Andromaque de Racine fut au début l’objet de critiques aussi vives que le Cid, ce qui ne l’empêcha pas d’obtenir un égal succès.
  4. Burrhus, gouverneur de Néron, un des principaux personnages de la tragédie de Britannicus.