Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/352

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Avoir pour Dieu du moins un amour commencé.
« Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme. »
O ciel ! me voilà donc dans l’erreur, dans le schisme,
Et partant réprouvé ! « Mais, poursuivis-je alors,
Quand Dieu viendra juger les vivans et les morts,
Et des humbles agneaux, objets de sa tendresse,
Séparera des boucs la troupe pécheresse,
À tous il nous dira, sévère ou gracieux,
Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux.
Selon vous donc, à moi réprouvé, bouc infâme,
« Va brûler, dira-t-il, en l’éternelle flamme,
« Malheureux qui soutins que l’homme dut m’aimer ;
« Et qui, sur ce sujet trop prompt à déclamer,
« Prétendis qu’il falloit, pour fléchir ma justice,
« Que le pécheur, touché de l’horreur de son vice,
« De quelque ardeur pour moi sentit les mouvemens,
« Et garda le premier de mes commandemens ? »
Dieu, si je vous en crois, me tiendra ce langage :
Mais à vous tendre agneau, son plus cher héritage.
Orthodoxe ennemi d’un dogme si blâmé,
« Venez, vous dira-t-il, venez, mon bien-aimé :
« Vous qui, dans les détours de vos raisons subtiles
« Embarrassant les mots d’un des plus saints conciles[1],
« Avez délivré l’homme, ô l’utile docteur !
» De l’importun fardeau d’aimer son Créateur ;
« Entrez au ciel, venez, comblé de mes louanges,
« Du besoin d’aimer Dieu désabuser les anges. »
A de tels mots, si Dieu pouvoit les prononcer,
Pour moi je répondrais, je crois, sans l’offenser,

  1. Le concile de Trente, qui se tint de 1545 à 1563 et qui fut provoqué par les demandes des protestants qui récusèrent cependant son autorité même avant sa réunion. Néanmoins ses décisions furent accueillies en France et dans toute la chrétienté sans presque aucune difficulté.