Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/401

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Tantôt, les yeux en feu, c’est un lion superbe ;
Tantôt, humble serpent, il se glisse sous l’herbe.
En vain, pour le dompter, le plus juste des rois
Fit régler le chaos des ténébreuses lois :
Ses griffes, vainement par Pussort[1] accourcies,
Se rallongent déjà, toujours d’encre noircies ;
Et ses ruses, perçant et digues et remparts,
Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts[2].
EtLe vieillard humblement l’aborde et le salue ;
Et faisant, avant tout, briller l’or à sa vue :
« Reine des longs procès, dit-il, dont le savoir
Rend la force inutile et les lois sans pouvoir,
Toi, pour qui dans le Mans le laboureur moissonne,
Pour qui naissent à Caen tous les fruits de l’automne ;
Si, dès mes premiers ans, heurtant tous les mortels,
L’encre a toujours pour moi coulé sur tes autels,
Daigne encor me connoître en ma saison dernière.
D’un prélat qui t’implore exauce la prière.
Un rival orgueilleux, de sa gloire offensé,
A détruit le lutrin par nos mains redressé.
Épuise en sa faveur ta science fatale :
Du Digeste et du Code[3] ouvre-nous le dédale,
Et montre-nous cet art connu de tes amis,
Qui, dans ses propres lois, embarrasse Thémis. »

  1. M. Pussort, conseiller d’État, est celui qui a le plus contribué à faire le Code. (B.) — Henri Pussort, oncle de Colbert, passe pour l’un des principaux rédacteurs des ordonnances de 1667 et 1670. Dans le procès de Fouquet il se montra passionné et servit avec trop d’ardeur les ressentiments de son neveu.
  2. Personne n’était mieux placé que Boileau pour tracer un portrait de la chicane, puisque fils, père, neveu de greffier, il avait été nourri dans le Palais et connaissait de vieille date le monstre qu’il décrit.
  3. Le Digeste et les Pandectes, ou recueil des décisions des jurisconsultes formé par ordre de Justinien, ainsi que le Code et les Institutes, collection de lois.