Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/417

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vais sens, et qu’une espèce de bizarrerie d’esprit rend insensible à tout ce qui frappe ordinairement les hommes. Mais ce n’est pas ici le lieu de lui montrer ses erreurs. On le fera peut-être plus à propos un de ces jours, dans quelque autre ouvrage.

Pour revenir à Pindare, il ne seroit pas difficile d’en faire sentir les beautés à des gens qui se seroient un peu familiarisé le grec ; mais comme cette langue est aujourd’hui assez ignorée de la plupart des hommes, et qu’il n’est pas possible de leur faire voir Pindare dans Pindare même, j’ai cru que je ne pouvois mieux justifier ce grand poëte qu’en tâchant de faire une ode en francois à sa manière, c’est-à-dire pleine de mouvemens et de transports, où l’esprit parût plutôt entraîné du démon de la poésie que guidé par la raison. C’est le but que je me suis proposé dans l’ode qu’on va voir. J’ai pris pour sujet la prise de Namur, comme la plus grande action de guerre qui se soit faite de nos jours, et comme la matière la plus propre à échauffer l’imagination d’un poëte. J’y ai jeté, autant que j’ai pu, la magnificence des mots ; et, à l’exemple des anciens poëtes dithyrambiques, j’y ai employé les figures les plus audacieuses, jusqu’à y faire un astre de la plume blanche que le roi porte ordinairement à son chapeau, et qui est en effet comme une espèce de comète fatale à nos ennemis, qui se jugent perdus dès qu’ils l’aperçoivent. Voilà le dessein de cet ouvrage. Je ne réponds pas d’y avoir réussi ; et je ne sais si le public accoutumé aux sages emportemens de Malherbe, ac-