Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/74

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Et, tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l’équité,
Et retient les méchans par la peur des supplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices,
Et, gardant pour moi-même une juste rigueur,
Je confie au papier les secrets de mon cœur.
Ainsi, dès qu’une fois ma verve se réveille,
Comme on voit au printemps la diligente abeille
Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des sottises du temps je compose mon fiel ;
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine :
Et, sans gêner ma plume en ce libre métier,
Je la laisse au hasard courir sur le papier.
Le mal est qu’en rimant, ma muse un peu légère
Nomme tout par son nom, et ne sauroit rien taire.
C’est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans :
Ils tremblent qu’un censeur, que sa verve encourage,
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage,
Et, fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N’aille du fond du puits tirer la vérité[1].
Tous ces gens éperdus au seul nom de satire.
Font d’abord le procès à quiconque ose rire :
Ce sont eux que l’on voit, d’un discours insensé,
Publier dans Paris que tout est renversé,
Au moindre bruit qui court qu’un auteur les menace
De jouer des bigots la trompeuse grimace.
Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux ;
C’est offenser les lois, c’est s’attaquer aux cieux.
Mais bien que d'un faux zèle ils masquent leur foiblesse,

  1. Démocrite disait que la vérité se tenait cachée au fond d’un puits et que personne ne l’en avait encore pu tirer.