Page:Boileau - Satires et oeuvres diverses, Schelte, 1749.djvu/44

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L’un en ſtile pompeux habillant un Eglogue,
De ſes rares vertus te fait un long prologue,
Et mêle, en ſe vantant ſoi-même à tout propos,
Les loüanges d’un Fat à celles d’un Héros.
L’autre en vain ſe laſſant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot & la lime ;
Grand & nouvel effort d’un eſprit ſans pareil !
Dans la fin d’un ſonnet te compare au ſoleil.
Sur le haut Hélicon, leur veine mépriſée,
Fut toujours des nœuf Sœurs la fable & la riſée.
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et Pégaſe pour eux refuſe de voler.
Cependant à les voir enflez de tant d’audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnaſſe,
On diroit qu’ils ont ſeuls l’oreille d’Apollon,
Qu’ils diſpoſent de tout dans le ſacré vallon.
C’eſt à leurs doctes mains, ſi l’on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le ſoin de ta gloire :
Et ton nom du Midi juſqu’à l’Ourſe vanté,
Ne dévra qu’à leurs vers ſon immortalité.
Mais plûtôt ſans ce nom, dont la vive lumiére
Donne un luſtre éclatant à leur veine groſſiére,
Ils verroient leurs écrits, honte de l’Univers,
Pourrir dans la pouſſiére à la merci des vers.
À l’ombre de ton nom ils trouvent leur aſile,
Comme on voit dans les champs un arbruiſſeau débile,
Qui ſans l’heureux apui qui le tient attaché,
Languiroit triſtement ſur la terre couché.
Ce n’eft pas que ma plume injuſte & téméraire,
Veüille blâmer en eux le deſſein de te plaire :
Et parmi tant d’Auteurs, je veux bien l’avoüer,
Apollon en connoît qui te peuvent loüer.
Oüi, je ſçai qu’entre ceux qui t’adreſſent leurs veilles
Parmi les Pelletiers on conte des Corneilles.
Mais ie ne puis ſouffrir qu’un eſprit de travers,
Qui pour rimer des mots, penſe faire des vers,
Se donne en te loüant une gêne inutile.