Page:Boileau - Satires et oeuvres diverses, Schelte, 1749.djvu/46

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[1]C’eſt-là ce qui fait peur aux eſprits de ce tems,
Qui tout blancs au-dehors, ſont tous noirs au-dedans :
Ils tremblent qu’un Cenſeur que ſa verve encourage,
Ne vienne en ſes écrits démaſquer leur viſage :
Et foüillant dans leurs moeurs en toute liberté,
N’aille du fond du puits tirer la vérité.
Tous ces gens éperdus au ſeul nom de Satire,
Font d’abord le procès à quiconque oſe rire.
Ce ſont eux que l’on voit, d’un diſcours inſenſé,
Publier dans Paris, que tout eſt renverſé ;
Au moindre bruit qui court, qu’un Auteur les menace
De joüer des Bigots la trompeuſe grimace,
Pour eux un tel ouvrage eſt un monſtre odieux ;
C’eſt offenſer les loix, c’eſt s’attaquer aux Cieux :
Mais bien que d’un faux zèle ils maſquent leur foibleſſe,
Chacun voit qu’en effet la vérité les bleſſe.
En vain d’un lâche orguëil leur eſprit revêtu,
Se couvre du manteau d’une auſtére vertu ;
Leur cœur qui ſe connoît, & qui fuit la lumiére,
s’il ſe moque de Dieu, craint Tartuffe & Moliére.
Mais pourquoi ſur ce point ſans raiſon m’écarter ?
GRAND ROY, c’eſt mon défaut, je ne ſçaurois flâter ;
Je ne ſçai point au Ciel placer un ridicule,
D’un nain faire un Atlas, ou d’un lâche un Hercule :
Et ſans ceſſe en eſclave à la ſuite des Grands,
À des Dieux ſans vertu prodiguer mon encens.
On ne me verra point d’une veine forcée,

  1. Juvénal décrit ainſi la peur que les Poëtes Satiriques faiſoient aux malhonnêtes gens de leur tems, Sat. i. 65.
    Enſe velut ſtricto, quoties Lucilius ardens
    Infremuit, rubet auditor cui frigida mens eſt
    Criminibus, tacitâ ſudant præcordia culpâ.