Page:Boissay & Flammarion - De Paris à Vaucouleurs à vol d'oiseau, 1873.djvu/14

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et n’y laisse place à aucun autre sentiment, « Regardez ! Que c’est beau ! » Nous dit encore Godard, qui nous détaille les merveilles de son domaine fluide, avec la délicatesse de goût d’un artiste. La brume orientale est teinte en ce moment d’une riche couleur jaune vif, ignorée sur la terre, et que Regnault seul a devinée dans son incomparable Salomé. Nos plus fiers monuments s’amoindrissent et se fondent dans la vapeur légère du matin… La Seine verte et transparente, puis les Tuileries béantes, croulantes, remplies de décombres noircis, passent sous la nacelle.

À Paris on se lève tard et la ville est presque déserte, mais, à notre droite un grand espace rectangulaire est couvert d’une foule grouillante, noire, affairée : ce sont les Halles. Jamais les hommes ne nous ont paru tant ressembler aux fourmis, mais cette humanité microscopique, ces petits points noirs qui s’agitent en bas ont construit cet immense Paris qui remplit l’horizon, ils ont inventé le vaisseau merveilleux qui nous emporte. Créés semblables aux bêtes, chaque jour ils se rapprochent un peu plus des anges… Déjà les ailes ont commencé à leur pousser, et dans ce moment même nous les essayons, ces ailes de jeunes oisillons pouvant déjà voler sans savoir encore diriger leur essor…

Tout à ce tableau, et se laissant aller à ces réflexions, Boissay oubliait les observations, le devoir ; Flammarion l’y rappelle et nous disposons nos instruments. Il ne s’agit cette fois que de déterminer notre marche horizontale par rapport à notre hauteur, aussi ne sont-ils pas nombreux : une bonne jumelle, une boussole, l’hygromètre de précision si délicat de Secrétan, un thermomètre à mercure, un excellent baromètre métallique de Gaggini, gradué spécialement pour les ascensions, et enfin le magnifique atlas des départements français de Joanne, édité par Hachette ; cet atlas, par la grande précision et la multiplicité des détails marqués sur les cartes, nous a permis de noter notre route avec la plus extrême exactitude. Enfin, Flammarion n’avait pas oublié son ancien « journal de bord », divisé en 6 colonnes pour y inscrire l’heure, la température, la pression barométrique, le degré d’humidité relative, le lieu et l’état du ciel.

Il importe de préciser exactement la part de chacun :

La route était déterminée en commun ; Boissay lisait ordinairement les instruments, Flammarion en inscrivait les indications et a pris seul, dans la nacelle même, les notes qui ont servi de canevas à cette relation ; Flammarion est l’auteur exclusif des déductions sur la marche des courants, c’est lui qui a expliqué les phénomènes observés ; Boissay a rédigé seul le récit de l’ascension, fait les calculs et dressé le diagramme et la carte.