Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/41

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la vie annamite, n’ayant fréquenté que quelques Européens épris de la manille et du poker. Ils parlent parfois de collègues vivant d’une existence étrange, et comme lointaine, adonnés à l’opium au fond de leurs cases chinoises, ces cases étroites et longues où je devine parfois, dans la pénombre, par une porte entrouverte, les chambres sombres, les couloirs sans fenêtre et les cours dallées, à ciel ouvert. L’opium ? Entré une fois par désœuvrement dans une fumerie de Cholon, lors de mon passage en Cochinchine, j’ai le souvenir d’une vaste salle triste où, étendus sur des lits de camp courant tout le long des murs, quelques Chinois somnolaient, je ne veux pas dire : dormaient, comme des brutes. D’autres tétaient goulûment le bambou brun-rouge d’une pipe. Tout cela ne m’a ni intéressé, ni impressionné, ni surpris, répondant à toutes les descriptions déjà lues, à tous les récits entendus déjà. La fumée lourde, avec ses volutes allongeant, étirant, fermant leurs courbes irrégulières, puis s’envolant en flocons tour à tour bleus et grisâtres, me parut propice à la migraine plus qu’au rêve ; et, en haussant les épaules, j’admirai la louable constance des imbéciles qui venaient chaque jour se martyriser sous prétexte d’amusement et de plaisir. Ainsi mes compagnons de collège faisaient quand ils s’habituaient à passer plusieurs heures