Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/50

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de ces pays. Elle n’est pas pour nous déplaire, à nous les subtils amis des livres, celle qui fait de chaque caractère chinois un Génie. Et tandis que j’écoute s’envoler les paroles sacrées des lèvres fines des chanteurs, le Thàn (génie) qui anime et personnalise chacune d’elles m’apparaît dans la fumée. Pour nous, qui savons la merveilleuse puissance du verbe, n’y a-t-il pas dans ces croyances matière à longue et active méditation ? Quel lettré de ses vœux importunerait le Ciel — je dis : quel lettré d’Europe — s’il possédait la certitude de revivre éternellement dans la compagnie des mots transformés en Génies — les mots aimés plus que les femmes, les mots que nous voulons en vain rendre vivants dans nos œuvres, les mots que nous verrons un jour, animés, avec l’allure de la physionomie que nous leur avons rêvée, idéalisés encore, nous suivre et nous faire cortège dans l’immortalité ? C’est à B…, dans les loisirs de la vie de poste, que je m’accoutumai à l’opium. Et chaque jour, aux heures invariables de l’intoxication quotidienne, je revois ce coin bien-aimé de la terre tonkinoise ; je retrouve ses collines vertes où