Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/52

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montent et descendent les mots dans les langues d’Extrême-Orient. Puis, mon accoutumance prise à la glu des soirées qu’emplissent des causeries fécondes en enseignements nouveaux, pour en multiplier les occasions, j’installai une fumerie tout au fond de ma maison chinoise, et chaque jour, de huit heures à minuit, des mandarins ou des lettrés libres vinrent converser avec moi, m’initiant à leurs livres, à leur littérature, à leur croyance ; et je fus soulagé d’un énorme ennui quand j’eus trouvé cet intelligent emploi des veillées — un moyen d’éviter la salle de café, l’odieux supplice des dominos et du monsieur qui fait de l’esprit en posant un double. Et, l’odorat caressé par les émanations fortes et douces de l’opium, l’oreille flattée par le gloussement de la pipe à eau, je vivais de légères heures, à jouir par tous les sens de la clarté bleue et jaune, des précieux bibelots et des originaux aphorismes. Parfois, nous faisions silence ; un lettré psalmodiait de monotones mélodies que j’écoutais en brûlant par intervalles une prise d’opium, d’une seule et très longue aspiration, et en expirant avec lenteur la fumée spiralifonne.

Plus d’une fois, après avoir fumé avec excès, le sommeil me fuyait jusqu’à l’aube, jusqu’au réveil clamé par les clairons dans la citadelle voisine. Je restais couché dans une agréable