Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

j’arrivais mal en point au bord du lit de camp, avec une névralgie à sa première période, une migraine et de torturantes tranchées. Mais bientôt le mal s’en allait, exactement à la manière d’un rideau qu’on lève, et dès la quatrième ou cinquième pipe, je me reposais dans une orgueilleuse satisfaction d’avoir vaincu la douleur — désormais impuissante et vaine menace du Jéhovah des Genèses. D’autres fois, je m’étendais, triste de quelque crépuscule automnal éveillant un pénible souvenir — car à certains jours, le vent, le ciel, les arbres, tout ce qui sait nous égayer ou nous apaiser sans motif apparent, nous attriste avec les mêmes décors qui la veille nous firent calmes ou joyeux — ou je rentrais furieux, secoué par quelque colère ignoble ou bête dans ses causes, une maladresse de boy, une gouaillerie d’indigène ; le mal moral, tristesse ou colère, disparaissait comme le mal physique, relevé par une invisible main. Supprimer les douleurs de l’âme et de la chair, placer à volonté son corps et son esprit dans cette reposante ataraxie à qui les épicuriens ont dit : “ Vous êtes le bonheur ”, quel divin pouvoir, quel fou désir enfin exaucé !

Certes, si de tels effets devaient être toujours consécutifs à l’usage, voire à l’abus de l’opium, laquelle de vos joies, à gens pratiques qui méprisez l’intoxiqué ! jugerez-vous digne de leur