Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/67

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mort a sa place, comme haut fonctionnaire, à la cour de l’Empereur céleste Ngoc-Hoang.

L’atmosphère de l’obscure pagode où nous entrons, lourde d’encens, prédispose aux hallucinations étranges ; et voici que dans la nuit profonde où scintillent des points de feu, une main inconnue soulève une entrée de soie jaune : deux formes vagues apparaissent près d’un autel. Des prêtres ? non, des femmes en suaire blanc, quelque fantomatique apparition d’outre-tombe.

Elles psalmodient à mi-voix, et j’entends des paroles, tristes comme un regret.

Oh ! ces femmes ! comme elles sont vieilles, les doigts fluets, le visage émacié ! Leur voix claire et tremblante tinte comme un bris de cristal. Et tandis que je me crois le jouet d’une vision, notre guide me souffle à l’oreille : “ Regardez ce que vous ne verrez plus jamais : les dernières épouses de Minh-mang ! ” Pendant cinquante ans et plus, elles ont prié dans leur solitude pour celui qui fut le Maître et qui fut l’Époux ; Thieu-tri et Tu-truc sont passés, et après eux passa le triste défilé des rois fantômes, Duc-duc, Hiep-hoa, Kien-phuoc : immuablement fidèles, elles ont prié, devant cette procession d’ombres vaines, elles ont attesté l’immortalité de Minh-mang. Sur cette terre où depuis quelques années tout change, les mœurs, les dieux, la langue, les maîtres,