Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/115

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tendrement. Elle était bien jeune encore que déjà son père ne pouvait s’empêcher, dans un de ses plaidoyers, de faire une allusion à l’affection qu’il avait pour elle[1]. Cette affection, la plus profonde assurément qu’il ait éprouvée, a fait le tourment de sa vie. Il est impossible d’imaginer une destinée plus triste que celle de cette jeune femme. Mariée à treize ans à Pison, puis à Crassipès, et séparée d’eux par la mort et le divorce, elle se remaria pour la troisième fois pendant que son père était absent et gouvernait la Cilicie. Les prétendants étaient nombreux, même parmi les jeunes gens d’illustre maison, et ce n’était pas seulement, comme on pourrait le croire, la gloire du beau-père qui les attirait. Il nous dit qu’on supposait qu’il reviendrait très riche de son gouvernement. En épousant sa fille, ces jeunes gens pensaient faire un mariage avantageux qui leur permettrait de payer leurs dettes[2]. Parmi eux se trouvaient le fils du consul Sulpicius et Tiberius Néro, qui fut le père de Tibère et de Drusus. Cicéron penchait pour ce dernier, qui était allé chercher son aveu jusqu’en Cilicie, quand sa femme et sa fille, à qui il avait laissé en partant le droit de choisir, se décidèrent sans lui pour Cornélius Dolabella. C’était un jeune homme de grande famille, un ami de Curion, de Cælius et d’Antoine, qui avait jusque-là vécu comme eux, c’est-à-dire en hasardant sa réputation et en dépensant sa fortune, du reste homme d’esprit et personnage à la mode. Ce mari n’était guère du goût d’Atticus ; mais Terentia, à ce qu’il semble, s’était laissé gagner par son grand nom, et peut-être Tullia n’était-elle pas restée insensible à ses belles manières. Les débuts de ce mariage semblèrent heureux. Dolabella charmait sa belle-mère et sa femme par son obligeance et sa bonté. Cicéron lui-même, qui avait été d’abord

  1. In Verrem, act. sect. I, 44.
  2. Ad Att., VII. 4.