Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/140

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est adressée. Ce personnage est assurément l’un des plus curieux d’une époque importante, et il mérite qu’on se donne la peine de l’étudier avec quelque soin.

I

Atticus avait vingt ans quand commença la guerre de Marius et de Sylla. Il en vit de près les débuts et faillit en être victime ; le tribun Sulpicius, l’un des principaux chefs du parti populaire, qui était son parent, fut tué, par l’ordre de Sylla, avec ses partisans et ses amis et comme Atticus le fréquentait beaucoup, il courut alors quelques risques. Ce premier danger décida de toute sa vie. Comme il était, malgré son âge, un esprit ferme et prudent, il ne se laissa pas abattre : il réfléchit et raisonna. S’il avait eu jusque-là quelques velléités d’ambition politique et la pensée de rechercher les honneurs, il y renonça sans peine en voyant de quel prix il fallait quelquefois les payer. Il comprit qu’une république où l’on s’arrachait ainsi le pouvoir par la force était perdue, et qu’en périssant elle risquait d’entraîner avec elle ceux qui l’auraient servie. Il résolut donc de se tenir loin des affaires, et toute sa politique consista désormais à se faire une situation sûre, en dehors des partis, à l’abri des dangers.

On demandait un jour à Sieyès : « Qu’avez-vous fait pendant la Terreur ? — Ce que j’ai fait ! répondit-il, j’ai vécu. » C’était beaucoup. Atticus a fait bien plus encore. Il a vécu, non pas seulement pendant une terreur de quelques mois, mais pendant une terreur de plusieurs années. Comme pour mettre à l’épreuve sa prudence et son habileté, il a été placé dans l’époque la plus troublée de l’histoire. Il a assisté à trois guerres civiles, il a vu Rome envahie quatre fois par des maîtres différents