Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/164

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caractéristiques de ce personnage, c’est le besoin qu’il avait de se faire beaucoup d’amis, et la peine qu’il prenait pour les attirer et les retenir. On peut refuser d’admettre, si l’on veut, que ce besoin fût chez lui l’effet d’une nature généreuse et sympathique qu’il vint de ce que Cicéron appelle admirablement « l’élan de l’âme qui veut aimer ; » mais, en supposant même qu’il ne songeât qu’à occuper et qu’à remplir sa vie, il faut reconnaître que ce n’est pas la marque d’une nature vulgaire que de la remplir de cette façon. Cet épicurien raffiné, ce maître dans l’art de bien vivre savait « que la vie n’est plus la vie, si l’on ne peut se reposer dans l’affection d’un ami[1]. » Il avait renoncé aux émotions des luttes politiques, aux triomphes de la parole, aux joies de l’ambition satisfaite ; mais en revanche il prétendait jouir de tous les charmes de la vie intérieure. Plus il s’était renfermé et retranché en elle, plus il était difficile et délicat sur les plaisirs qu’elle peut donner ; comme il ne s’était laissé que ceux-là, il voulait les goûter pleinement, les savourer, en vivre. Il lui fallait des amis et parmi eux les plus grands esprits, les plus nobles âmes de son temps. Son activité, qu’il n’employait pas ailleurs, il la mettait toute à se procurer les douceurs de la société que Bossuet appelle le plus grand bien de la vie humaine. Ce bien, l’heureux Atticus en a joui au delà même de ses désirs, et l’amitié l’a largement payé de tout le mal qu’il s’était donné pour elle. Elle était son unique passion ; il a pu complètement la satisfaire, et après avoir embelli sa vie, c’est encore l’amitié qui a illustré son nom.

  1. Cui potest esse vita vitalis, ut ait Ennius, qui non in amici mutua benevolentia conquiescat ? (Cicéron, de Amicit., 6.)