Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forte raison ne partagerons-nous pas l’enthousiasme naïf qu’il inspire à Cornélius Nepos. Cet indulgent biographe n’est frappé, dans toute la vie de son héros, que de l’heureuse chance qu’il a eu d’éviter de si grands dangers. Il n’en revient pas quand il le voit, depuis Sylla jusqu’à Auguste, se soustraire à tant de guerres civiles, survivre à tant de proscriptions, et se conserver si adroitement où tant d’autres périssaient. « Si l’on comble d’éloges, dit-il, le pilote qui sauve son vaisseau des rochers et de la tempête, ne doit-on pas tenir aussi pour admirable la prudence d’un homme qui, au milieu de ces violents orages politiques, parvient à se sauver ?[1] » L’admiration est de trop ici. Nous gardons la nôtre pour ces gens de cœur qui mirent leurs actions d’accord avec leurs principes, et qui surent mourir pour défendre leurs opinions. Leur mauvais succès ne leur nuit pas dans notre estime, et, quoi qu’en dise l’ami d’Atticus, il y a des navigations heureuses dont on retire moins d’honneur que de certains naufrages. Le seul éloge qu’il mérite complètement, c’est celui que son biographe lui donne avec tant de complaisance, d’avoir été le plus habile homme de ce temps ; mais on sait bien qu’il y a d’autres éloges qui valent mieux que celui-là.

  1. Atticus, 10.