Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/204

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Ainsi des deux côtés les rôles étaient changés, et chacun paraissait parler et agir contrairement à ses intérêts ou à ses principes. Est-il surprenant qu’au milieu d’obscurités pareilles, et parmi tant de raisons d’hésiter, d’honnêtes gens, comme Sulpicius et Cicéron, dévoués à leur pays, mais plus faits pour le servir en des temps de calme que dans ces crises violentes, ne se soient pas décidés du premier coup ?

Cælius aussi hésitait ; mais ce n’était pas tout à fait pour les mêmes raisons que Cicéron et Sulpicius. Tandis qu’eux se demandaient avec anxiété où était le droit, Cælius cherchait seulement où était la force. C’est ce qu’il avouait lui-même avec une franchise singulière. « Dans les dissensions intestines, écrivait-il à Cicéron, aussi longtemps qu’on lutte par les moyens légaux et sans avoir recours aux armes, on doit s’attacher au parti le plus honnête ; mais quand on en vient à la guerre, il faut se tourner vers les plus forts et regarder le parti le plus sûr comme le meilleur[1]. » Du moment qu’il se contentait de comparer les forces des deux rivaux, son choix devenait plus facile ; pour se décider, il suffisait d’ouvrir les yeux. On voyait d’un côté onze légions, soutenues par des auxiliaires éprouvés et commandées par le plus grand général de la république, qui étaient échelonnées sur les frontières et prêtes à entrer en campagne au premier signal[2] ; de l’autre, peu ou point de troupes exercées, mais une grande abondance de jeunes gens d’illustres familles, aussi incapables de commander que

  1. Ad fam., VIII, 14.
  2. On voit, à la fin du huitième livre du De Bello gallico, que César avait huit légions en Gaule, une dans la Gaule cisalpine et deux qu’il donna à Pompée. À la première menace de guerre, il donna l’ordre à celles qui étaient en Gaule de se rapprocher des frontières. Après la prise de Corfinium, il avait trois de ses anciennes légions avec lui.