Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/209

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demeurer en Italie, dans quelque maison de campagne isolée ou dans quelque ville neutre, vivant hors des affaires, ne prenant parti pour personne, mais prêchant à tout le monde la modération et la paix. Déjà il avait commencé un beau traité sur la concorde des citoyens ; il voulait l’achever dans ce loisir, et, comme il avait bonne opinion de son éloquence, il espérait bien qu’elle ferait tomber les armes des mains les plus obstinées. C’était une chimère sans doute ; cependant, il ne faut pas oublier que Caton, qui n’est pas suspect, regrettait que Cicéron y eût si tôt renoncé. Il le blâmait d’être venu à Pharsale, où sa présence n’était pas d’un grand secours pour les combattants, tandis qu’il pouvait, en demeurant neutre, conserver son influence sur les deux rivaux et servir entre eux d’intermédiaire. Mais un seul jour renversa tous ces beaux projets. Lorsque Pompée quitta Brindes, où il ne se croyait plus en sûreté, et s’embarqua pour la Grèce, César, qui comptait sur cette nouvelle pour retenir Cicéron, s’empressa de la lui transmettre. Ce fut précisément ce qui le fit changer d’opinion. Il n’était pas un de ces hommes, comme Cælius, qui tournent avec la fortune et se décident pour le succès. Au contraire, il se sentit rapproché de Pompée dés qu’il le vit malheureux. « Je n’ai jamais souhaité partager sa prospérité, disait-il ; que je voudrais avoir partagé son malheur[1] ! » Quand il sut que l’armée républicaine était partie, et avec elle presque tous ses anciens amis politiques ; quand il sentit que sur cette terre italienne il n’y avait plus de magistrats, plus de consuls, plus de sénat, il fut saisi d’une profonde douleur ; il lui sembla que le vide s’était fait autour de lui, et que le soleil même, suivant son expression, avait disparu du monde. Bien des gens venaient le féliciter de

  1. Ad Att., IX, 12.