Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/211

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un contraste étrange avec celles qui précèdent. Cælius l’adressait à Cicéron quelques mois à peine après les événements dont je viens de parler, mais dans des circonstances très différentes. Quoiqu’elle ne nous soit parvenue que très mutilée, et que le sens de toutes les phrases ne soit pas facile à rétablir, on y voit clairement que celui qui l’écrivait était en proie à une irritation violente. Ce partisan zélé de César, qui cherchait à convertir les autres à son opinion, est devenu subitement un ennemi furieux ; cette cause, qu’il défendait tout à l’heure avec tant de chaleur, il ne l’appelle plus qu’une cause détestable, et il trouve « qu’il vaut mieux mourir que d’y rester[1]. » Que s’était-il donc passé dans l’intervalle ? Par quels motifs Cælius avait-il été entraîné à ce dernier changement, et quelle en fut l’issue ? Il convient de le raconter, car ce récit pourra jeter quelque jour sur la politique du dictateur, et surtout faire mieux connaître son entourage.

III

Dans son traité de l’Amitié, Cicéron affirme qu’un tyran ne peut pas avoir d’amis[2]. En parlant ainsi, il songeait à César, et il faut avouer que cet exemple semble lui donner raison. On ne manque pas de courtisans quand on est le maître, et César, qui les payait bien, en a eu plus que tout autre ; mais d’amis sincères et dévoués, on ne lui en connaît guère. Peut-être en avait-il parmi ces serviteurs plus obscurs dont l’histoire n’a pas conservé le souvenir[3], mais aucun de ceux qu’il

  1. Ad fam., VIII, 17.
  2. De amic., 15.
  3. Il y aurait de l’injustice à passer sous silence le nom de Matius, dont il reste une si belle lettre à propos de la mort de César (Ad fam., XI, 28). Celui-là était pour César un ami véritable ;