Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/23

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pas achevé d’en gémir, que j’entends Arrius qui me salue. Est-ce là quitter Rome ? À quoi me sert de fuir les autres, si c’est pour tomber entre les mains de ceux-ci ? Je veux, ajoute-t-il en citant un beau vers emprunté peut-être à ses propres ouvrages, je veux m’enfuir vers les montagnes de ma patrie, au berceau de mon enfance.

In montes patrios et ad incunabula nostra[1]. »

Il va en effet à Arpinum ; il pousse même jusqu’à Antium, le sauvage Antium, où il passe son temps à compter les vagues. Cette obscure tranquillité lui plaît tant, qu’il regrette de n’avoir pas été duumvir dans cette petite ville plutôt que consul à Rome. Il n’a plus d’autre ambition que d’être rejoint par son ami Atticus, de faire avec lui quelques promenades au soleil, ou de causer philosophie « assis sur ce petit siège qui est au-dessous de la statue d’Aristote. » En ce moment, il parait plein de dégoût pour la vie publique ; il n’en veut pas entendre parler. « Je suis résolu, dit-il, à n’y plus songer[2]. » Mais on sait comment il tient ces sortes de promesses. Aussitôt qu’il est de retour à Rome, il se plonge de plus fort dans la politique ; les champs et leurs plaisirs sont oubliés. À peine surprend-on par moments quelques regrets passagers d’une vie plus calme. « Quand donc vivrons-nous ? quando vivemus ? » dit-il tristement au milieu de ce tourbillon d’affaires qui l’entraîne[3]. Mais ces réclamations timides sont bientôt étouffées par le bruit et le mouvement du combat. Il s’y engage et il y prend part avec plus d’ardeur que personne. Il en est encore tout animé lorsqu’il écrit à Atticus. Ses lettres en contiennent toutes les émotions, et nous les communiquent. On croit assister à ces scènes incroyables qui se passent au sénat, lorsqu’il attaque Clodius tantôt par des dis-

  1. Ad Att., II, 15.
  2. Ad Att., II, 4.
  3. Ad Quint., III, 1, 4.