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Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/237

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sait pas d’élection ou d’assemblée populaire sans que le sang coulât. « Le Tibre, dit Cicéron en parlant d’un de ces combats, fut rempli des corps des citoyens, les égouts publics en furent comblés, et l’on fut forcé d’étancher avec des éponges le sang qui ruisselait du forum[1]. »

Voilà dans quelles obscures convulsions périssait la république romaine et quels désordres honteux usaient ses dernières forces. Cicéron connaissait bien cette anarchie sanglante et les dangers qu’il allait y courir. Aussi avait-il pris, avant de rentrer à Rome, la résolution d’être prudent pour ne plus s’exposer à en sortir. Ce n’était pas une de ces âmes que le malheur rend plus fortes ; et qui trouvent une sorte de plaisir à lutter avec la mauvaise fortune. L’exil l’avait découragé. Pendant les longs ennuis de son séjour en Thessalie, il avait fait un triste retour sur le passé. Il s’était reproché comme des crimes ses velléités de courage et d’indépendance, l’audace qu’il avait eue de combattre les puissants, et la faute qu’il avait commise de se lier trop étroitement au parti qu’il jugeait le meilleur, mais qui était évidemment le plus faible. Il revenait bien décidé à s’engager le moins qu’il pourrait avec personne, à désarmer ses ennemis par ses complaisances et à ménager tout le monde. C’est la conduite qu’il tint à son arrivée, et ses premiers discours sont des chefs-d’œuvre de politique. Il est visible qu’il penche encore vers l’aristocratie, qui avait pris une part très active à son retour, et il a pour la louer de beaux accents de patriotisme et de reconnaissance ; mais déjà il commence à caresser César, et il appelle Pompée « le plus vertueux, le plus sage, le plus grand des hommes de son siècle et de tous les siècles[2]. » En même temps, il nous dit lui-même qu’il se gardait bien

  1. Pro Sext., 35.
  2. Ad pop. pro red., 7.