Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/249

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rieux qu’il était, il souffrait qu’on lui écrivît « familièrement et sans bassesse[1]. » Il répondait lui-même des lettres aimables, « pleines de politesse, de prévenance et d’agrément[2], » qui ravissaient Cicéron. Pompée au contraire semblait prendre plaisir à le blesser par ses grands airs. Ce vaniteux solennel, qu’avaient gâté les adorations des peuples de l’Orient, et qui ne pouvait s’empêcher de prendre des allures de triomphateur rien que pour aller de sa maison d’Albe à Rome, affectait un ton impérieux et hautain qui lui aliénait tout le monde. Ce qui déplaisait encore plus que son insolence, c’était sa dissimulation. Il avait une sorte de répugnance à communiquer ses projets aux autres ; il les cachait même à ses amis les plus dévoués, qui avaient intérêt à les connaître pour les soutenir. Cicéron s’est plaint plus d’une fois qu’on ne pouvait jamais savoir ce qu’il voulait ; il lui est même arrivé de se tromper complètement sur ses intentions véritables et de le fâcher en croyant le servir. Cette dissimulation obstinée passait sans doute, aux yeux du plus grand nombre, pour une profonde politique ; mais les habiles n’avaient pas de peine à en démêler le motif. S’il ne disait son opinion à personne, c’est que le plus souvent il n’avait pas d’opinion, et comme il arrive assez ordinairement, le silence ne servait chez lui qu’à couvrir le vide. Il marchait à l’aventure, sans principes fixes ni système arrêté, et ne portait jamais les yeux au delà des circonstances présentes. Les évènements l’ont toujours surpris, et il a bien montré qu’il n’était pas plus capable de les diriger que de les prévoir. Son ambition elle-même, qui était sa passion dominante, n’avait pas des vues précises et des prétentions décidées. Quelques dignités qu’on lui offrît pour la satisfaire, on voyait bien

  1. Ad Quint., II, 12.
  2. Ad Quint., II, 15.