Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonnes tables et à donner de bons dîners à ses amis[1]. Il ne brave pas les dangers, il les oublie. Mais qu’il rencontre alors quelque personnage effrayé, il a bientôt gagné son épouvante ; aussitôt son style change : il s’anime, il s’échauffe ; la tristesse, l’effroi, l’émotion, l’élèvent sans effort à la plus haute éloquence. Quand César menace Rome et qu’il pose insolemment ses dernières conditions au sénat, le cœur de Cicéron se soulève, et il trouve, en écrivant à une seule personne, de ces figures véhémentes qui ne seraient pas déplacées dans un discours adressé au peuple. « Quel destin est le nôtre ? Il faudra donc céder à ses demandes impudentes ! C’est ainsi que Pompée les appelle. Et en effet a-t-on jamais vu une plus impudente audace ? — Vous occupez depuis dix ans une province que le sénat ne vous a pas donnée, mais que vous avez prise vous-même par la brigue et la violence. Le terme est venu que votre caprice seul, et non pas la loi, avait fixé à votre pouvoir. — Supposons que ce soit la loi. — Le temps arrivé, nous vous nommons un successeur ; mais vous vous y opposez et nous dites : Respectez mes droits ! Et vous, que faites-vous des nôtres ? Quel prétexte avez-vous à garder votre armée au delà des limites même que le peuple a fixées, malgré le sénat ? — Il faut me céder, ou vous battre. — Eh bien ! battons-nous, répond Pompée ; nous avons au moins l’espérance de vaincre ou de mourir libres[2]. »

Si je voulais trouver un autre exemple de cette agréable variété, et de ces brusques changements de ton, ce n’est pas à Pline, ni à ceux qui, comme lui, ont écrit leurs lettres pour le public, que je m’adresserais. Il me faudrait descendre jusqu’à Mme de Sévigné. Comme Cicéron, Mme de Sévigné a l’imagination très vive et

  1. Ad fam., IX, 24.
  2. Ad Att., VII, 9.