Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/255

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de bonne heure, pour venir à Rome, sa pauvre petite ville d’Ulubres, située au milieu des marais Pontins, Ulubres la déserte, vacuæ Ulubræ, dont on appelait les habitants les grenouilles d’Ulubres. Il avait appris le droit, et comme il y était devenu très fort, il rendait sans doute beaucoup de services à Cicéron, qui ne parait pas avoir jamais bien su la jurisprudence, et qui trouvait plus commode de s’en moquer que de l’apprendre. Malheureusement, les consultations étant gratuites, les Jurisconsultes ne faisaient pas fortune à Rome. Aussi Trébatius était-il très pauvre, malgré sa science. Cicéron, qui l’aimait sans égoïsme, consentit à se priver de l’agrément et de l’utilité qu’il trouvait dans son commerce, et il l’envoya à César avec une de ces lettres charmantes de recommandation qu’il savait si bien écrire et dans lesquelles il déployait tant de grâce et d’esprit. « Ce n’est pas, lui disait-il, le commandement d’une légion ou un gouvernement que je vous demande pour lui. Je ne détermine rien. Accordez-lui votre amitié, et si vous voulez ensuite faire quelque chose pour sa fortune et pour sa gloire, je ne m’y opposerai pas. Enfin je vous l’abandonne tout entier ; je vous le livre de la main à la main, comme on dit, et j’espère qu’il se trouvera bien entre ces mains fidèles et victorieuses[1]. » César remercia Cicéron du cadeau qu’il lui faisait et qui ne pouvait manquer de lui être très précieux, « car, faisait-il spirituellement remarquer, parmi cette multitude d’hommes qui m’entoure, il n’y en a pas un qui sût présenter une requête[2]. »

Trébatius n’était parti de Rome qu’à contrecœur ; Cicéron dit qu’il fallut le mettre à la porte[3]. Le premier aspect de la Gaule, qui ressemblait si peu à la

  1. Ad fam., VII, 5.
  2. Ad Quint., II, 35.
  3. Ad fam., VII, 6 : nisi te extrusissemus.