Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/298

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lait en public depuis Pharsale. Dans ce sénat épuré par César et qu’il avait rempli de ses créatures, on n’avait pas encore entendu une voix libre. Les amis et les admirateurs du maître avaient seuls la parole, et quelque excès que nous trouvions dans les éloges que Cicéron lui donne, on peut être assuré que toutes ces flatteries durent sembler tièdes au prix de celles qu’on entendait tous les jours. Ajoutons que, comme personne n’avait encore osé faire l’essai de la tolérance de César, on n’en connaissait pas exactement les limites. Or, il est naturel que celui qui ne sait pas au juste on commence la témérité redoute toujours un peu d’être téméraire. Lorsqu’on ignore la mesure de la liberté permise, la crainte de la dépasser peut empêcher quelquefois de l’atteindre. D’ailleurs cet orateur qui parlait pour un exilé était lui-même un des vaincus. Il connaissait toute l’étendue des droits que conférait alors la victoire, et il n’essaye pas de la dissimuler. « Nous avons été défaits, dit-il à César, vous pouviez légitimement nous faire tous mourir[1]. » Aujourd’hui les choses sont bien changées. L’humanité a diminué ces droits impitoyables, et le vaincu, qui le sait, ne s’abandonne pas aussi facilement lui-même : du moment qu’il ne court plus les mêmes dangers, il lui est facile d’avoir plus de courage ; mais quand il se trouvait en présence d’un maître qui avait sur lui un pouvoir absolu, quand il savait qu’il ne tenait la liberté et la vie que d’un bienfait toujours révocable, sa parole ne pouvait plus avoir la même assurance, et il ne serait pas juste d’appeler timidité la réserve qu’imposait une situation si périlleuse. Il reste enfin une dernière manière plus simple et probablement plus vraie que les autres d’expliquer ces éloges un peu trop intempérants qu’on a repro-

  1. Pro Marc., 4.