Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/301

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l’admirera ? Il faut qu’il change ce qui existe : « La république ne peut pas rester comme elle est. » Il ne s’explique pas, mais on devine ce qu’il veut. C’est la liberté qu’il souhaite, non pas cette liberté entière dont on avait joui jusqu’à Pharsale, mais une liberté réglée et modérée, compatible avec un pouvoir fort et victorieux, la seule que Rome pût alors supporter. Il est clair qu’en ce moment Cicéron ne croyait pas qu’il fût impossible d’arriver à une transaction entre César et la liberté. Un homme qui renonçait avec tant d’éclat à l’un des droits les moins contestés de la victoire ne pouvait-il pas être tenté de renoncer plus tard aux autres ? Et quand on le voyait si clément et si généreux envers les particuliers, était-il défendu de croire qu’il pourrait bien faire un jour cette libéralité à sa patrie ? Quelque faible que fut cette espérance, comme alors il n’y en avait pas d’autre, un honnête homme et un bon citoyen ne devaient pas la laisser perdre, et c’était leur devoir d’encourager César par tous les moyens à la réaliser. Ils n’étaient donc pas coupables de le louer avec effusion de ce qu’il avait fait pour le pousser à faire plus encore, et il me semble que les éloges dont l’accable Cicéron, quand on songe au dessein qu’il avait en les lui donnant, perdent un peu cet air d’esclavage qu’on leur a reproché.

César écouta les compliments avec plaisir et les conseils sans colère. Il était trop heureux que Cicéron renonçât enfin à se taire pour songer à se fâcher de ce qu’il avait dit. Il lui importait que cet homme d’État sur lequel on avait les yeux rentrât de quelque façon dans la vie publique. Cette grande voix qui s’obstinait à rester muette semblait protester contre le gouvernement nouveau. En n’essayant même pas de le contredire, elle laissait croire qu’on n’avait pas la liberté de le faire et faisait paraître l’esclavage plus lourd. On était donc si