Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/312

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connaît lui-même que presque personne ne l’aimait ; Servius Sulpicius avait toutes les faiblesses d’un jurisconsulte pointilleux ; enfin Cicéron et Caton péchaient par les excès opposés, et il aurait fallu les unir tous les deux ou les modifier l’un par l’autre pour avoir un politique complet. Il n’y avait donc que des individualités brillantes, et point de chef, dans le parti républicain avant Pharsale, et même on peut dire que, comme ces amours-propres jaloux et ces vanités rivales s’étaient mal fondus ensemble, c’est à peine s’il y avait un parti.

La guerre civile, qui fut un écueil pour tant d’autres, qui mit à nu tant de petitesses et de lâchetés, fut au contraire ce qui révéla toute la bonté et toute la grandeur de Caton. Il se fit alors une sorte de crise dans son caractère. De même que dans certaines maladies l’approche des derniers moments donne plus d’élévation et de lucidité à l’esprit, de même il semble qu’à la menace de cette grande catastrophe qui allait engloutir les institutions libres de Rome, l’âme honnête de Caton se soit encore épurée, et que son intelligence ait puisé dans le sentiment des dangers publics une vue plus juste de la situation. Tandis que la peur rend les autres exagérés, il se corrige de ses exagérations ordinaires ; en songeant aux périls que court la république, il devient tout d’un coup sage et modéré. Lui qui était toujours prêt à tenter des résistances inutiles, il conseille de céder à César, il veut qu’on lui accorde ce qu’il demande, il se résigne à toutes les concessions pour éviter la guerre civile. Quand elle éclate, il la subit avec tristesse, et il essaye par tous les moyens d’en diminuer les horreurs. Toutes les fois qu’on le consulte, il est du côté de la modération et de la douceur. Au milieu de ces jeunes gens, héros des sociétés polies de Rome, parmi ces beaux esprits lettrés et élégants, c’est le rude Caton qui défend la cause de l’humanité. Il fait décider, malgré les emportements des