Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/40

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très-mutilé. Ce qui en reste nous montre qu’il est là, comme partout, disciple fervent des Grecs. C’est à Platon qu’il s’attache de préférence, et son admiration est si vive pour lui qu’il voudrait souvent nous faire croire qu’il se contente de le traduire. En général, Cicéron ne paraît pas se soucier beaucoup de la gloire d’être original. C’est à peu près la seule vanité qui lui manque. Il y a même à ce propos, dans sa correspondance, un aveu singulier, dont on a fort abusé contre lui. Pour faire comprendre à son ami Atticus comment ses ouvrages lui coûtent si peu de peine, il lui dit : Je ne fournis que les mots, dont je ne manque pas[1] ; mais Cicéron, contre son habitude, s’est ici calomnié. Il n’est pas traducteur aussi servile qu’il voudrait le faire croire, et dans ses ouvrages politiques notamment la différence est grande entre Platon et lui. Leurs livres portent bien le même titre, mais dés qu’on les a ouverts, on s’aperçoit qu’au fond ils ne se ressemblent pas. C’est le propre d’un philosophe spéculatif comme Platon de viser en toute chose à l’absolu. S’il veut faire une constitution, au lieu d’étudier d’abord les peuples qu’elle doit régir, il part d’un principe de la raison et le suit avec une rigueur inflexible jusque dans ses dernières conséquences. Il arrive ainsi à former un de ces systèmes politiques où tout se tient et s’enchaîne, et qui, par leur admirable unité, charment l’esprit du sage qui les étudie, comme la régularité d’un bel édifice séduit les yeux qui le regardent. Malheureusement ces sortes de gouvernements, imaginés dans des réflexions solitaires et fondus tout d’une pièce, sont d’une application difficile. Quand on veut les mettre en pratique, il survient de tous côtés des résistances auxquelles on ne s’attendait pas. Les traditions des peuples, leur caractère,

  1. Ad Att., XII, 52.