Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a plus de part que la nature, n’est sympathique à personne, parce qu’elle parait être le produit d’une volonté qui calcule. C’est ce qui fait que toutes les vertus d’Auguste nous laissent froids et ne nous semblent tout au plus qu’un chef-d’œuvre d’habileté. Il leur manque, pour nous toucher, un peu de naturel et d’abandon. Ce sont là des qualités que n’a jamais connues ce personnage raide et composé, quoiqu’au dire de Suétone il affectât volontiers la simplicité et la bonhomie dans ses relations familières. Mais n’est pas bonhomme qui veut, et ses lettres intimes, dont il nous reste quelques fragments, montrent que sa plaisanterie manquait d’aisance et qu’il n’était simple qu’avec effort. Ne savons-nous pas d’ailleurs, par Suétone lui-même, qu’il écrivait ce qu’il voulait dire à ses amis, pour ne rien laisser au hasard, et qu’il lui est même arrivé de rédiger par avance ses conversations avec Livie[1] ?

Ce qui achève de nous gâter Auguste, c’est le voisinage de César ; le contraste est complet entre eux. César, sans parler de ce qu’il y avait de plus grand et de plus brillant dans sa nature, nous attire tout d’abord par sa franchise. Son ambition peut nous déplaire, mais il avait le mérite au moins de ne pas la dissimuler. Je ne sais pourquoi M. Mommsen s’évertue, dans son Histoire romaine, à vouloir prouver que César ne tenait pas au diadème et qu’Antoine, quand il le lui offrit, ne l’avait pas consulté. J’aime mieux m’en tenir à l’opinion commune, et je ne crois pas qu’elle : lui fasse du tort. Il voulait être roi, et en porter le titre, comme en avoir l’autorité. Jamais il n’a eu l’air, comme Auguste, de se faire prier pour accepter des honneurs qu’il souhaitait avec passion. Ce n’est pas lui qui aurait voulu nous faire croire qu’il ne gardait l’autorité suprême qu’avec répu-

  1. Suétone, Auguste, 84.