Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/49

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dissipant de tous les côtés à la fois, le rendait peu capable de desseins suivis. Il ne savait pas assez s’abuser sur les hommes et s’étourdir sur les entreprises, aussi était-il sujet à des défaillances soudaines. Il s’est vanté souvent d’avoir prévu et prédit l’avenir. Ce n’était pas certainement en sa qualité d’augure, mais par une sorte de perspicacité fâcheuse qui lui montrait les conséquences des événements, et plutôt les mauvaises que les bonnes. Aux nones de décembre, quand il fit périr les complices de Catilina, il n’ignorait pas les vengeances auxquelles il s’exposait, et il prévoyait son exil : il eut donc ce jour-là, malgré les hésitations qu’on lui a reprochées, plus de courage qu’un autre qui, dans un moment d’exaltation, n’aurait pas vu le danger. Ce qui fut surtout pour lui une cause d’infériorité et de faiblesse, c’est qu’il était modéré, modéré par tempérament plus que par principes, c’est-à-dire avec cette impatience nerveuse et irritée qui finit par employer la violence à défendre la modération. Il est rare qu’on évite tous les excès dans les luttes politiques. Ordinairement les partis sont injustes dans leurs plaintes quand ils sont vaincus, cruels dans leurs représailles quand ils sont vainqueurs, et prêts à se permettre sans scrupule dès qu’ils le peuvent ce qu’ils blâmaient sévèrement chez leurs ennemis. S’il est alors des gens dans le parti victorieux qui s’aperçoivent qu’on va trop loin, et qui osent le dire, il leur arrive inévitablement d’irriter contre eux tout le monde. On les accuse de timidité et d’inconstance, on dit qu’ils sont légers et changeants ; mais ce reproche est-il bien mérité ? Cicéron s’est-il démenti lui-même lorsque après avoir défendu les malheureux que frappait l’aristocratie sous Sylla, il défendait, trente ans après, les victimes de la démocratie sous César ? N’était-il pas au contraire plus conséquent avec lui-même que ceux qui, après s’être plaints amèrement d’être exilés, exilèrent leurs