Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/78

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rendus ni plus influents ni plus libres. César a humilié l’aristocratie, mais il ne l’a humiliée qu’à son profit. Il a enlevé le pouvoir exécutif des mains du sénat, mais pour le mettre dans les siennes. Il a établi l’égalité entre tous les ordres, mais c’était une égalité de servitude, et tout le monde a été confondu désormais dans la même obéissance. Je sais bien qu’après qu’il eut fait taire la tribune, privé le peuple du droit de suffrage et réuni dans sa main tous les pouvoirs publics, le sénat qu’il avait nommé, à bout de flatteries, lui décerna solennellement le nom de libérateur et vota l’érection d’un temple à la liberté. Si c’est contre cette liberté qu’on accuse Cicéron et ses amis d’avoir pris les armes, je ne crois pas que ce soit la peine de les défendre de ce reproche.

Rendons aux choses leur vrai nom. C’est pour lui, et non pas pour le peuple, que César travaillait, et Cicéron, en le combattant, pensait défendre la république et non les privilèges de l’aristocratie. Mais cette république méritait-elle d’être défendue ? Y avait-il quelque espoir de la conserver ? N’était-il pas manifeste que sa ruine était inévitable ? C’est la dernière objection qu’on fait à ceux qui suivirent le parti de Pompée. J’avoue qu’il n’est pas facile d’y répondre. Le mal dont Rome souffrait et qui se trahissait par ces désordres et ces violences dont les lettres de Cicéron nous font un si triste tableau, n’était pas de ceux qu’on peut conjurer avec quelques sages réformes. Il était ancien et profond. Il s’aggravait tous les jours sans qu’aucune loi pût le prévenir ni l’arrêter. Pouvait-on espérer le guérir avec ces changements timides que proposaient les plus hardis ? À quoi servait de diminuer, comme on le voulait, les privilèges de l’aristocratie et d’augmenter les droits des plébéiens ? Les sources mêmes de la vie publique étaient gravement altérées. Le mal venait de la façon dont se recrutaient les citoyens.