Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/82

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Ce tableau n’était pas fait pour les séduire, et quelques inconvénients qu’eût la république, ils se demandaient s’il valait la peine de les échanger contre ceux que pouvait avoir la royauté. De plus, il était naturel que la chute de la république ne leur parût pas aussi prochaine et aussi sûre qu’à nous. Il en est des États comme des hommes, auxquels, après leur mort, on trouve mille raisons de mourir que personne ne soupçonnait de leur vivant. Quand les rouages de ce vieux gouvernement fonctionnaient encore, on ne pouvait pas voir combien la machine était délabrée. Cicéron a quelquefois des moments de profond désespoir où il annonce à ses amis que tout est perdu ; mais ces moments ne durent pas, et il reprend vite courage. Il lui semble qu’une main ferme, qu’une parole éloquente, que l’accord des bons citoyens peuvent tout réparer et que la liberté guérira facilement les abus et les fautes de la liberté. Jamais il n’aperçoit toute la gravité du danger. Dans les plus mauvais jours, sa pensée ne va pas au delà des intrigants et des ambitieux qui troublent le repos public ; c’est toujours Catilina, César ou Clodius qu’il accuse, et il pense que tout sera sauvé, si l’on réussit à les vaincre. Il se trompait. Catilina et Clodius n’étaient que les symptômes d’un mal plus profond, qu’on ne pouvait pas guérir ; mais faut-il le blâmer d’avoir nourri cette espérance, toute chimérique qu’elle était ? Est-il coupable d’avoir pensé qu’il y avait d’autres moyens de sauver la république que de sacrifier la liberté ? Un honnête homme et un bon citoyen ne doivent pas accepter du premier coup ces extrémités. On a beau leur dire que les arrêts du destin condamnent à périr le gouvernement qu’ils préfèrent et qu’ils ont promis de défendre, ils font bien de ne le croire tout à fait perdu que lorsqu’il est à terre. Qu’on les appelle, si l’on veut, aveugles ou dupes, il est honorable pour eux de n’être pas trop perspicaces, et il