Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/87

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périlleuse qu’il ait jamais tentée, et qui devait lui coûter la vie, est précisément celle où il a le mieux résisté à ses découragements et à ses défaillances ordinaires.

Dès son retour à Rome, encore tout animé de cette ardeur qu’il avait puisée à Vélie dans les entretiens de Brutus, il se rendit au sénat, et il osa y parler. La première Philippique, si on la rapproche des autres, parait timide et pâle ; quel courage cependant n’a-t-il pas fallu pour la prononcer dans cette ville indifférente, devant ces sénateurs effrayés, à quelques pas d’Antoine furieux, menaçant, et qui, par ses émissaires, écoutait tous les propos qu’on tenait contre lui ! Cicéron finissait donc comme il avait commencé. Deux fois, à trente-cinq ans d’intervalle, il protestait seul, au milieu du silence général, contre un pouvoir redouté, qui ne souffrait pas de résistance. Le courage est contagieux comme la peur. Celui que Cicéron montra dans son discours en fit trouver aux autres. Cette parole libre surprit d’abord, puis rendit honteux ceux qui se taisaient. Cicéron profita de ces premiers élans, bien timides encore, pour rassembler quelques personnes autour de lui et trouver des défenseurs à la république presque oubliée. C’était là le difficile. De républicains, il n’en restait guère, et les plus résolus allaient rejoindre Brutus en Grèce. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était de s’adresser aux modérés de tous les partis, à tous ceux que blessaient les emportements d’Antoine. Cicéron les adjura d’oublier leurs anciennes inimitiés et de se réunir. « Maintenant, leur disait-il, il n’y a plus qu’un seul vaisseau pour tous les honnêtes gens[1]. » On reconnaît là sa politique ordinaire. C’est encore une coalition qu’il essaye de former comme à l’époque de son consulat. Ce rôle est décidément celui pour lequel il a le plus de goût et qui lui

  1. Ad fam., XII, 25.