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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

glots ; François pleurait sans y penser ; mon cher père lui-même, si calme, toujours si ferme, il a faibli aussi, les larmes l’ont gagné, il a jeté l’affreux papier loin de lui, et, se laissant tomber sur un siége, il est resté dans une stupeur qui m’effrayait. On devinait qu’un monde de pensées s’agitaient dans son cerveau, il ne pouvait parler.

L’effroi de Marguerite, dont les huit ans ne comprenaient rien à cette scène, rappela mon père à lui-même ; il l’attira sur ses genoux.

« C’est qu’il nous arrive un grand malheur, Marguerite : les Prussiens ont pris toute notre armée ; il n’y aura plus maintenant assez de soldats pour nous défendre !

— Est-ce qu’ils ont tué Maurice et André, les Prussiens ? fit Marguerite.

— Non, mon trésor. Grâce à Dieu, tes frères sont encore en sûreté ; mais ils ne le seront plus bien longtemps, vois-tu ; tout le monde va se battre. Ce n’est plus la guerre pour faire le mal maintenant, c’est la guerre pour empêcher le mal, c’est la guerre pour nous défendre… »

On vint dire que la vieille Mme de *** était là et demandait les nouvelles. Papa et maman nous embrassèrent, on essuya ses yeux avant de descendre, et chacun se dit que les temps devenaient graves et qu’il fallait prendre sur soi.

Depuis lors, hier et aujourd’hui, nous avons à