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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

plaisir à remarquer qu’une charrette quittait la grande route et venait de notre côté, et il a fallu descendre et faire ouvrir la petite porte pour mieux voir ceux qui approchaient. C’était navrant ! Une femme était dans la charrette avec trois petits enfants dont l’un avait à peine deux mois. Quelques matelas, des paquets de linge, des marmites et une cage d’osier où les poules caquetaient plaintivement ; tout cela était encore mouillé de la dernière averse, et l’ensemble avait un air transi qui faisait peine. Le père et ses deux fils marchaient à la tête du cheval, une vache était attachée derrière la voiture, et un chien pareil à Fox fermait la marche. Le petit cortège s’arrêta près de notre groupe, et l’homme demanda poliment où l’on pourrait trouver une goutte de lait pour le tout petit enfant. J’envoyai Robert en demander à Nanette, et, fortifiée par la présence du jardinier qui venait d’apparaître, j’osai questionner ces pauvres gens. Ils venaient de Lorraine. Leur ferme était située tout près de Gravelotte. À l’approche de l’ennemi, ils s’étaient sauvés, emportant ce qu’ils pouvaient, abandonnant le reste avec un secret espoir de le retrouver plus tard. Mais deux jours après la bataille ils avaient été rejoints par un de leurs voisins et avaient appris que tout était perdu.

Quelques soldats français s’étaient réfugiés dans la maison pour y prendre leur repas, un détachement prussien les avait cernés, nos lignards avaient