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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

qui la retenait à la mangeoire. Le pauvre poulain affolé, crispait ses longues jambes menues et raidissait sa tête ; il n’en était pas moins, quand le lourd sabre retombait, entraîné par la force du coup et s’en allait frapper chaque fois ses naseaux contre le bois de la mangeoire.

Louis arrivait. Poussé par cette pitié des animaux, si touchante chez certains hommes des champs, il passa entre le petit cheval et le Prussien et, repoussant celui-ci de l’épaule, essaya de détacher le licou. Le Prussien se mit alors à frapper sur l’homme, et nous vîmes le malheureux charretier s’échapper avec de grands cris et tout sanglant, de l’écurie, où personne ne lui avait porté secours. Le Prussien le suivait, sabre haut, écumant de rage. Roland et le fermier s’élancèrent au devant du furieux ; ils l’arrêtèrent, non sans risques, et sa victime put arriver en trébuchant jusqu’à nous.

Une demi-heure après, un sous-officier et trois soldats armés entraient demander que le coupable leur fût livré. J’eus beaucoup de peine à leur faire comprendre que Dieu lui-même se chargeait de sauver l’infortuné de leurs mains. Il se mourait ; probablement d’un coup sur la nuque qui avait dû léser l’épine dorsale.

Le sous-officier, qui n’avait pas d’ordres pour ce cas imprévu, se retira, mais pour revenir au bout d’un instant. Les officiers attendaient ; il fallait abso-