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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Je me croyais vieille, ma chère sœur, je me croyais calme, je me croyais positive, j’avais ri souvent des exaltations patriotiques, la Marseillaise avinée des rues m’avait semblé ignoble ; mais quel élan m’a portée vers toi, mon noble, et pauvre, et beau pays, pendant que ces hommes outrageaient lâchement ton cri de guerre ! — Quand ils avaient réussi à flétrir un vers de leur accent niais, les éclats de rires dérisoires s’élevaient et saluaient ironiquement les grandes menaces que la fortune avait trahies.

— « Ah ! oui ! semblaient-ils dire, le jour de gloire ! Ah ! vraiment ! ils sont bons avec leur : Tremblez, tyrans !… »

Combien dura cette angoisse, je ne le sais, mes larmes coulaient à travers mes doigts qui voulaient les retenir, j’avais oublié où j’étais, je priais que la haine n’entrât pas dans mon cœur. Cette haine cherchée par eux, appelée, raillée d’avance, elle m’aurait rendue semblable à eux. Hélas ! assez d’autres les haïront !… la haine ne m’est pas venue, mais bien le mépris.

Les airs de danse ont succédé. Les grosses bottes ont frappé en mesure le parquet. C’était une soirée longue à passer pour nous. J’ai proposé à Adolphe une partie de dominos, cela nous aurait donné l’ombre d’une occupation. Pendant que je prenais le jeu, Adolphe voulut fermer les persiennes, pour échapper au regard d’une sentinelle qui passait et