Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

317
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

laissé pour un jour leurs habitudes d’indifférence et suivaient à pied avec les voisins les plus proches.

C’est que beaucoup d’entre eux l’avaient vu tout enfant, ce vaillant jeune homme. On se souvenait de l’avoir rencontré par les traverses dès ses dix ans, tout fier de cheminer seul, en plein champ, sur le vieux poney noir ; plus d’un laboureur avait encore devant les yeux son visage souriant et son salut cordial.

Les longues marches aimées du père et des deux fils les avaient conduits souvent loin de leur vallée, on les connaissait partout pour des chercheurs de pierres antiques, des explorateurs de camps romains, et quand ils passaient tous trois, les vieux paysans, toujours pratiques même dans leur goût du beau, se disaient de l’un à l’autre : « Quels fameux travailleurs feraient bien ces beaux garçons ! » Maintenant on allait conduire enterre l’un d’eux, et cela peinait les plus durs. D’ailleurs, quoique le pays eût fortement souffert, cependant l’absence de résistance avait ménagé les vies et l’on n’était point blasé comme ailleurs, hélas ! sur ces deuils sanglants.

Le long convoi se déroula sur la route bordée d’ormes noueux, et bientôt les habitants de la ville, venus au-devant par petits groupes, l’allongèrent encore. On se montrait avec respect la pauvre mère, qui, sous son voile, suivait à pied, au bras de son mari. Elle était plus forte que les premiers jours, et

18.