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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/64

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

il a le cœur navré et ne cesse de raconter ce qu’il a vu de terrible. L’épouvante me prend à votre sujet quand il me dit comment on a traité les villages aux environs de Sedan !

Si Paris résiste, à quels excès le désappointement ne peut-il pas pousser ces vainqueurs impitoyables ! Et pourtant, il faut que Paris résiste pour consoler des douleurs de Sedan ; il faut tout, plutôt que des hontes pareilles. Ah ! mère chérie, qui nous disiez, quand nous étions tout petits, que la patrie s’aimait comme s’aime la famille, soyez tranquille, même votre André l’a compris et senti, et c’est pour ne l’oublier jamais. Non, je ne veux pas me consoler de notre honneur flétri, et ce sont bien mes frères, ces braves gens qu’on veut nous ravir et qui ne nous veulent pas quitter. S’il plaît à Dieu, et si l’on nous donne des fusils, ils sauront du moins, nos pauvres Lorrains et Alsaciens, qu’on s’est battu pour l’amour d’eux.

Que ma lettre est longue, chère maman ! et encore il y manque tant de choses ! Quand aurai-je une nouvelle occasion ? Que je voudrais vous annoncer encore la résurrection d’un ami !

Savez-vous que la présente missive, remise par ma tante de Thieulin à un honnête éleveur de N…, fort soupçonné d’acheter les bœufs du Perche pour les revendre aux Prussiens, vous arrivera cousue dans l’intérieur du collier d’un de ses chevaux de trait ?