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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

tel qu’on le peut fournir, et les convives se retirent sans désordre.

Dans la ville où l’occupation prussienne est constante, on en souffre davantage. Chaque fois qu’un nouveau régiment arrive à S…, la circulation est interdite jusqu’à ce que tous les soldats qui le composent aient été casés. Chacun des habitants doit se tenir dans sa propre maison sans en bouger, et même les femmes ne peuvent aller et venir, à moins de posséder un sauf-conduit. Ces vexations sont peu de chose, en somme, auprès des maux réels de l’invasion ; les réquisitions journalières en vivres et en argent menacent de ruiner le pays, et cependant certaines gens ressentent l’arrogance de nos vainqueurs plus encore que des exigences auxquelles la nécessité pourrait servir d’excuse.

Maman a reçu il y a peu de jours ordre de fournir une charrette et un cheval pour un convoi destiné aux troupes sous Paris. C’est toujours un nouveau combat qui se livre en elle lorsqu’elle se trouve ainsi forcée de prêter secours à l’ennemi, ainsi qu’elle s’en accuse avec douleur.

Il fallait obéir, cette fois comme les autres, mais personne de la maison ne se souciait d’escorter le vieux cheval et la charrette. Maman a pensé à proposer cette mission, qu’elle comptait bien payer, à Dubreuil, l’ex-garde moulin, qui depuis l’arrivée des Allemands s’est fait leur compagnon, au grand dom-